Catherine MAIA, Émilie HOARAU
Dans la nuit du 11 au 12 janvier dernier, les États-Unis et le Royaume-Uni ont conjointement bombardé des bases militaires situées au Yémen et contrôlées par les Houthis, un groupe rebelle sévissant dans le golfe d’Aden et revendiquant soutenir la cause palestinienne. Ces bombardements, renouvelés le 19 janvier par les États-Unis, sont intervenus en guise de riposte aux attaques répétées des Houthis depuis le 19 novembre 2023 envers des navires marchands et commerciaux en transit dans la mer Rouge, un axe crucial de navigation pour le commerce international, et après l’adoption d’une résolution par le Conseil de sécurité dans laquelle est exigée des Houthis la fin immédiate de leurs assauts.
Les attaques houthistes de navires justifiées par le soutien aux habitants de Gaza
Les Houthis, dont le nom renvoie à une tribu du Yémen ayant pour guide spirituel musulman Badreddine al-Houthi, sont actifs depuis le milieu des années 1990 dans le nord du pays. Initialement pacifique et porteur de revendications socio-économiques, le mouvement s’est transformé en groupe armé à la fin des années 1990 en vue de s’opposer au gouvernement en place. Tandis que les Houthis, soutenus par l’Iran, se sont emparés d’une large partie du pays depuis 2014, la coalition militaire créée par l’Arabie saoudite en 2015 et comprenant une quinzaine de pays (dont l’Égypte et les Émirats arabes unis), n’a pas permis le retour au pouvoir du président Abdrabbo Mansour Hadi actuellement en exil en territoire saoudien, ni empêché l’enlisement d’un conflit qui a conduit à une grave crise humanitaire.
Le ciblage de navires liés à Israël, jusqu’à l’entrée de toute l’aide humanitaire nécessaire dans la bande de Gaza, a été revendiqué par les Houthis comme un geste de solidarité avec les Palestiniens dans la guerre menée par l’État hébreux contre le Hamas à la suite de l’attaque subie sur son sol le 7 octobre dernier et qui lui vaut d’être aujourd’hui accusée de génocide par l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de Justice. En effet, ce groupe armé fait partie de « l’axe de la résistance », alliance politico-militaire non officielle entre l’Iran, la Syrie et plusieurs milices partageant une hostilité commune à l’égard d’Israël, ainsi que des États-Unis. À ce titre, le mouvement houthiste a commencé à recevoir le soutien militaire de l’Iran en 2015, ce soutien étant un moyen pour les Iraniens d’affaiblir à faible coût les Saoudiens. Plus fondamentalement, ces attaques sont pour les Houthis aussi, et surtout, un moyen de profiter de la médiatisation de la guerre à Gaza pour remettre sur le devant de la scène internationale la guerre au Yémen, le pays ayant initié un délicat processus de sortie de crise depuis deux ans.
Pour combattre les attaques houthistes et sécuriser la circulation maritime dans la mer Rouge, le 18 décembre dernier, les États-Unis ont lancé l’opération « Prosperity Guardian » (Gardiens de la prospérité), rapidement rejoints par le Royaume-Uni et, dans une moindre mesure, par d’autres pays, comme le Bahreïn, la Norvège, le Danemark ou les Pays-Bas. Grâce aux patrouilles conjointes de navires militaires, l’opération consiste à maintenir la liberté de navigation et à assurer la sécurité des navires transitant par cette route, en visant des pistes de lancement de drones, des dépôts de munitions ou encore des sites de fabrication d’armes.
L’enjeu est capital, puisqu’environ 12% du fret maritime mondial et 40% des échanges commerciaux de l’Asie avec l’Europe transitent par cette voie séparant la péninsule arabique du continent africain. Or, depuis la mi-novembre 2023, le nombre de porte-conteneurs a chuté de près de 70%, de nombreux armateurs préférant emprunter un itinéraire alternatif plus long autour du cap sud-africain de Bonne-Espérance, tandis que les primes d’assurance ont explosé pour ceux décidant de continuer de passer par le canal de Suez.
Les attaques américano-britanniques au Yémen justifiées par la légitime défense
Les frappes américano-britanniques au Yémen sont intervenues après l’adoption, le 10 janvier, de la Résolution 2722 (2024) du Conseil de sécurité des Nations Unies, avec 11 votes pour, aucun vote contre et 4 abstentions (Algérie, Chine, Mozambique, Russie). Dans cette première résolution de l’année 2024, le Conseil de sécurité condamne fermement les assauts des Houthis contre les navires marchands et commerciaux depuis le 19 novembre 2023, date de l’attaque et de la capture du navire de marchandises Galaxy Leader, affrété par une société japonaise, ainsi que de son équipage (§1).
Tout en exigeant que les Houthis « mettent fin immédiatement à ces attaques, qui entravent le commerce mondial et portent atteinte aux droits et libertés de navigation ainsi qu’à la paix et la sécurité de la région, et qu’il libèrent immédiatement le Galaxy Leader et son équipage » (§2), le Conseil de sécurité condamne la fourniture d’armes aux Houthis, en violation de sa Résolution 2216 (2015) (§5) et appelle « à la prudence et à la retenue afin de prévenir une nouvelle détérioration de la situation en mer Rouge et dans la région » (§9). Il reconnaît également que « l’exercice des droits et libertés de navigation par les navires marchands et les navires de commerce doit être respecté conformément au droit international, et prend note du droit qu’ont les États membres, conformément au droit international, de défendre leurs navires contre les attaques, notamment celles qui portent atteinte aux droits et libertés de navigation » (§3).
Lors d’une réunion du Conseil de sécurité le 12 janvier, les États-Unis comme le Royaume-Uni ont justifié leur action sur le fondement de la légitime défense, exception à la prohibition de l’usage de la force armée consacrée par l’article 51 de la Charte des Nations Unies. Face aux attaques illégales et injustifiées commises par le groupe houthiste en mer Rouge, les deux États ont argué avoir pris des « mesures d’autodéfense nécessaires, proportionnées et conformes au droit international », afin de préserver la liberté de navigation et de commerce, les États-Unis précisant, en outre, que les frappes ciblées contre des installations militaires sous le contrôle des Houthis ont été perpétrées en veillant à minimiser toute incidence sur la population civile yéménite.
Le délégué de la Fédération de Russie a toutefois affirmé que : « La liberté de navigation, régie par la Convention sur le droit de la mer [de 1982], ne prévoit pas d’attaquer un État membre sous le couvert de la légitime défense », tout en dénonçant l’interprétation arbitraire du droit international faite par les États-Unis et leurs alliés.
À cet égard, si l’article 51 de la Charte des Nations Unies a été conçu selon un schéma classique mettant face à face des États, il peut s’entendre comme englobant toute entité capable de commettre une attaque armée, quand bien même l’État dans lequel elles ont leur assise territoriale ne serait nullement complice. S’agissant ici d’un groupe armé attaquant des navires marchands et commerciaux dans les eaux internationales, une intervention militaire par des États ne serait toutefois possible contre ce groupe armé basé sur le territoire yéménite, qu’à la condition, comme la rappelé la déléguée de la Suisse, qu’elle se limite « stricto sensu aux mesures militaires destinées à intercepter des attaques contre des navires marchands et des navires de guerre, pour protéger lesdits navires et les personnes qui se trouvent à son bord ». Dès lors, « toute opération militaire qui dépasse[rait] la nécessité immédiate de protéger lesdits navires et lesdites personnes serait disproportionnée » et, par conséquent, non couverte par le paragraphe 3 de la Résolution 2722 (2024).
Alors que la situation demeure tendue dans la région, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a demandé à tous les États membres qui défendent leurs navires contre des attaques de respecter le droit international, exhortant également les parties concernées à éviter toute escalade des violences dans l’intérêt de la paix mondiale.