Guerre à Gaza : Israël accusé de « génocide » par l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de Justice

Catherine Maia

Le 29 décembre 2023, la République sud-africaine a introduit une requête devant la Cour internationale de Justice (CIJ), accusant Israël de commettre un « génocide » contre les Palestiniens à Gaza et demandant l’indication de mesures conservatoires. Dans sa requête introductive d’instance de 84 pages, l’Afrique du Sud affirme que, depuis le 7 octobre 2023 – date des attaques menées par le Hamas depuis la bande de Gaza vers les zones frontalières de l’État hébreu –, Israël « manque à son obligation de prévenir le génocide, ainsi qu’à son obligation de punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide », et « s’est livré, se livre et risque de continuer à se livrer à des actes de génocide contre le peuple palestinien à Gaza ».

L’Afrique du Sud estime essentiel de « replacer les actes de génocide dans le contexte plus large du comportement d’Israël à l’égard des Palestiniens pendant les 75 ans d’apartheid, les 56 ans d’occupation belligérante du territoire palestinien et les 16 ans de blocus de Gaza, y compris les violations graves et constantes du droit international qui y sont associées, notamment les infractions graves à la quatrième Convention de Genève, et d’autres crimes de guerre et crimes contre l’humanité ».

L’Afrique du Sud estime également essentiel de rappeler l’importance de la norme violée, se disant consciente du « caractère de jus cogens de l’interdiction du génocide et du caractère erga omnes et erga omnes partes des obligations incombant aux États en vertu de la Convention sur le génocide », ce que la CIJ a reconnu en 2006 dans son arrêt Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda). À cet égard, elle soutient que « les actes et omissions d’Israël revêtent un caractère génocidaire, car ils s’accompagnent de l’intention spécifique requise (…) de détruire les Palestiniens de Gaza en tant que partie du groupe national, racial et ethnique plus large des Palestiniens », répondant ainsi à la définition du génocide, qui exige une volonté d’anéantissement totale ou partielle d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Elle ajoute que « par son comportement – par l’intermédiaire de ses organes et agents et d’autres personnes et entités agissant sur ses instructions ou sous sa direction, son contrôle ou son influence – à l’égard des Palestiniens de Gaza, Israël manque aux obligations qui lui incombent au titre de la Convention contre le génocide », adoptée en 1948, entrée en vigueur en 1951 et comptabilisant 153 États parties (au 6 janvier 2023).

Alors que la riposte armée israélienne a débouché sur une situation humanitaire alarmante, conduisant le Conseil de sécurité à adopter une résolution pour accélérer l’envoi d’aide humanitaire vers Gaza le 22 décembre dernier, la démarche de l’Afrique du Sud correspond à celle de son chef d’État, Cyril Ramaphosa, ardent défenseur de la cause palestinienne, qui, à l’instar d’autres organisations de défense des droits humains, compare la politique israélienne à Gaza et en Cisjordanie occupée avec l’apartheid, régime de ségrégation raciale imposé par la minorité blanche sud-africaine entre 1948 et 1991.

La requête déposée par l’Afrique du Sud n’est pas la seule mesure prise par ce pays pour dénoncer la grave crise humanitaire dans laquelle Gaza a été plongée par les opérations militaires massives de l’armée israélienne pour rechercher les dirigeants du Hamas. En novembre dernier, le Parlement avait également voté en faveur de la fermeture de l’ambassade israélienne à Pretoria et de la rupture des relations diplomatiques avec Israël jusqu’à ce que soit instauré un cessez-le-feu.

Au-delà de la requête introduite devant la CIJ, depuis 2021, une enquête est en cours devant la Cour pénale internationale (CPI) sur la situation en Palestine concernant de potentiels crimes relevant de la compétence de la Cour perpétrés dans le cadre de cette situation depuis le 13 juin 2014, date mentionnée dans le renvoi adressé par cet État au Bureau du Procureur. En outre, le 17 novembre 2023, cinq États parties au Statut de Rome de la CPI ont déféré la situation en Palestine au Bureau du Procureur : outre l’Afrique du Sud, on compte le Bangladesh, la Bolivie, les Comores et Djibouti. Un chiffre bien inférieur à celui de la situation en Ukraine où, dans une configuration comparable – la Russie et l’Ukraine étant tiers au Statut de Rome, mais cette dernière ayant accepté la compétence de la Cour – 43 États ont renvoyé ladite situation.

Alors que la compétence territoriale de la Cour englobe Gaza et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, le Procureur de la CPI, Karim Khan, a précisé que l’enquête couvrira aussi bien les crimes commis par l’attaque sans précédent du Hamas sur le territoire israélien le 7 octobre, ayant fait environ 1 140 morts, que ceux commis en réplique par les forces israéliennes dans la bande de Gaza, ayant fait plus de 21 500 morts (dont 40 % d’enfants), afin que justice soit rendue aux victimes des deux camps.

Si l’issue de cette enquête risque d’être compliquée par le fait qu’Israël n’est pas partie au Statut de Rome et ne reconnaît pas la compétence de la CPI, l’État hébreu est en revanche, à l’instar de l’Afrique du Sud, partie à la Convention sur le génocide, dont l’article IX prévoit que les différends entre les parties contractantes relatifs à son interprétation ou à son application peuvent être soumis à la CIJ, à la requête unilatérale d’une partie au différend. Cette base conventionnelle commune a ainsi permis à l’État sud-africain de porter l’affaire devant la CIJ.

Il convient de noter que cette action judiciaire, engagée par un État partie non directement affecté par la violation d’obligations conventionnelles erga omnes partes, est similaire à celle engagée devant la CIJ en 2019 par la Gambie contre le Myanmar en 2019 pour violation de la Convention pour la prévention et la répression du génocide, ainsi qu’à celle engagée en 2023 par le Canada et les Pays-Bas contre la Syrie pour violation de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Il convient de noter également que par une résolution du 30 décembre 2022 (adoptée par 87 votes pour, 26 contre et 53 abstentions), l’Assemblée générale a demandé à la CIJ un avis consultatif relatif aux Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, dont la procédure orale doit s’ouvrir le 19 février 2024. La procédure actuellement engagée devant la CIJ pourra durer plusieurs années. D’autres États parties à la Convention contre le génocide pourront y intervenir afin d’exposer leurs positions, à l’instar des nombreuses déclarations déposées à l’occasion de l’affaire pendante concernant les Allégations de génocide au titre de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie ; 32 États intervenants). Dans l’attente d’une décision sur le fond de la CIJ, l’Afrique du Sud a demandé à la Cour de se réunir pour prononcer rapidement des mesures conservatoires appelant à protéger le peuple palestinien de tout « nouveau préjudice grave et irréparable », les audiences publiques s’étant tenues les 11 et 12 janvier.

© Ibraheem Abu Mustafa (31 décembre 2023)
© Ibraheem Abu Mustafa (31 décembre 2023)

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