Le récent plan pour Gaza proposé par les États-Unis est contraire aux principes fondamentaux du droit international. Derrière l’utilisation d’expressions pas techniques telles que « prendre le contrôle » ou « posséder définitivement » Gaza, ou la suggestion qu’Israël pourrait céder Gaza, ou, enfin, que les États-Unis pourraient acheter Gaza, le projet hégémonique – si non même néo-impérialiste, voir Rachman dans le Financial Times du 11 février 2025 – du président américain est évident, dégoulinant de mépris non seulement pour le droit international, mais aussi pour toute idée de justice. Tout cela est dramatiquement aggravé par le sinistre projet de relocalisation forcée et permanente de deux millions de personnes, ce qui constituerait à l’évidence un crime contre l’humanité.
La seule solution à la crise repose sur l’exercice par le peuple palestinien de son droit sacro-saint à l’autodétermination. Cela signifie, d’abord, la fin immédiate de l’occupation illégale des territoires occupés par Israël ainsi que l’évacuation de tous les colons, comme l’a réaffirmé avec force la Cour internationale de justice dans son avis consultatif du 19 juillet 2024. Comme l’a rappelé la Cour, presque 60 ans sont passés depuis l’adoption unanime, le 22 novembre 1967, de la part du Conseil de sécurité de la Résolution 242 (1967) qui soulignait « l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la guerre » et appelait au « [r]etrait des forces armées israéliennes lors du récent conflit ». Ce n’est qu’à cette condition que le people palestinien pourra finalement perfectionner le processus de création de son propre État en conformité, entre autres, avec les nombreuses résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies.
Sous la nouvelle administration, la position des États-Unis a connu un revirement brutal. La position équilibrée de l’administration précédente a été abandonnée et, avec elle, la conviction que la solution à la crise passait nécessairement par la coexistence pacifique de deux États. Cette position avait été clairement illustrée par le représentant américain au Conseil de sécurité des Nations Unies lors de son intervention à la session du 29 décembre 2023, qui s’est exprimé en ces termes :
Let us be clear: a two-state solution, where Israelis and Palestinians live side by side in peace, is the path to peace. That path to peace is not a smooth nor a fast one. And the ongoing construction of settlements and increase in violence in the West Bank makes this challenging journey even more difficult.
In addition, we also know the continued control of Gaza by Hamas, a group that has dedicated its entire existence to the elimination of Israel, precludes a pathway to a viable two-state solution, in which Israel’s security is guaranteed and the Palestinian people can fully realize their aspirations.
Entre-temps, 146 États ont reconnu la Palestine en tant qu’État. Par ailleurs, en mai dernier, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la Résolution A/RES/ES-10/23 selon laquelle la Palestine remplit les conditions d’adhésion prévues à l’article 4 de la Charte (143 voix pour, 9 contre et 25 abstentions). Malheureusement, à cette occasion également, l’Union européenne n’a pas réussi à parler d’une seule voix. Dans le deuxième paragraphe, l’Assemblée générale constata que « l’État de Palestine remplit les conditions requises pour devenir membre de l’Organisation des Nations Unies conformément à l’article 4 de la Charte des Nations Unies et devrait donc être admis à l’Organisation ».
Il est à noter que la résolution est non contraignante et que la plupart des États qui se sont abstenus ont néanmoins déclaré leur soutien à la solution à cette crise basée sur la coexistence des deux États, ce qui présuppose naturellement le retrait de l’Israël des territoires occupés. L’absence de soutien à la résolution a donc été justifiée essentiellement par des considérations d’opportunité politique. L’Allemagne, par exemple, déclara le 10 mai 2024:
Only direct negotiations between Israelis and Palestinians will lead to sustainable peace in the Middle East and a two State reality. (…) we stand against unilateral measures undermining the prospects for a two State solution, namely illegal settlement activities in the occupied territories and unprecedented levels of settler violence. We call upon the Government of Israel to do its part to keep the two State solution viable.
Si la Palestine a obtenu le statut d’État non membre observateur à l’ONU le 29 novembre 2012 (avec une large majorité de 138 voix pour, 9 contre et 41 abstentions), il conviendrait de passer à l’étape supérieure en lui octroyant une pleine reconnaissante comme État membre. Il convient également de rappeler que l’admission de nouveaux membres aux Nations Unies requiert une majorité qualifiée de l’Assemblée générale (deux tiers des votants conformément à l’article 18, paragraphe 2, de la Charte) et du Conseil de sécurité, dans ce dernier cas sans l’opposition d’un membre permanent. L’exercice du soi-disant droit de veto pourrait donc faire échouer toute demande d’admission de la Palestine.
Les événements de ces dernières semaines ont considérablement modifié le cadre de la crise de Gaza et constituent à la fois un grave danger pour le droit du peuple palestinien à l’autodétermination en ce qui concerne l’ensemble des territoires occupés et une attaque préméditée contre les normes sur lesquelles repose l’ordre international.
Le temps est venu pour les gouvernements qui ne l’ont pas encore fait de reconnaître la Palestine en tant qu’État. À proprement parler, en temps normal, la reconnaissance de la Palestine pourrait encore être considérée comme prématurée, car on pourrait faire valoir qu’il n’existe pas encore d’État pleinement opérationnel et indépendant. Des doutes de cette nature ont été soulevés, par exemple, à l’occasion de la reconnaissance de la Bosnie-Herzégovine.
Mais nous sommes loin de vivre une époque normale. Depuis des décennies, les territoires occupés sont le théâtre de violences scandaleuses et de violations flagrantes du droit international. La situation a dégénéré de manière dramatique après le terrible attaque terroriste perpétrée le 7 octobre 2023, suivie de la réaction militaire brutale et disproportionnée d’Israël. Dans ces conditions, la reconnaissance de la Palestine ne peut plus être reportée.
La reconnaissance reste un acte politique unilatéral et son octroi est la prérogative de chaque gouvernement. Cependant, elle produit des effets juridiques, notamment l’établissement de relations diplomatiques formelles avec le gouvernement reconnu et l’obligation de respecter l’intégrité territoriale du nouvel État et de ne pas contester ses frontières à l’avenir. Dans le cas de la Palestine, les frontières sont celles des territoires occupés, sous réserve d’une délimitation différente résultant d’un accord avec Israël.
La reconnaissance de la Palestine pourrait avoir une importance considérable. Premièrement, elle exercera une pression politique sur le gouvernement israélien pour qu’il se retire des territoires occupés et respecte le droit international, y compris en ce qui concerne les colonies dans ces territoires. Elle contribuera à la mise en œuvre de la solution à deux États et à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination, qui n’a que trop tardé. Elle renforcera l’Autorité nationale palestinienne dans le processus de consolidation d’un gouvernement unique démocratiquement élu. Elle sera également l’expression de l’engagement solennel de respecter l’indépendance politique et l’intégrité territoriale de l’État de Palestine. Enfin, elle réaffirmera, à un moment très difficile de l’histoire, l’importance fondamentale du droit international et d’un siècle de multilatéralisme.
Comme souligné par l’Allemagne, « full UN membership of a Palestinian State is not the beginning nor the end of a political process toward a two State solution, but an integral part of such a political process ». Ceci s’applique – et à plus forte raison – à la reconnaissance de la Palestine comme État, car cet acte est nécessaire, mais hélas pas suffisant, aux fins de son admission comme membre aux Nations Unies.
Bien entendu, la reconnaissance de la Palestine en soi ne changera pas la situation sur le terrain. Mais elle serait un pas significatif vers la solution de la crise si les États et les organisations internationales s’engagent dans la promotion des négociations – conformément au droit à l’autodétermination du peuple palestinien – ainsi que dans le processus de reconstruction de Gaza, ce dernier avec la participation tant des institutions financières internationales que du secteur privé.