Editorial

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PRESENTATION DU JOURNAL

Une des premières questions qui nous ne sommes posé, en lançant ce Journal, a été celle de la définition de droit transnational. Il n’a pas de pénurie des définitions de droit transnational,[1] mais hélas – ou peut être heureusement – aucune définition univoque. On pourrait même soutenir qu’il y a une, aucune ou cent mille définitions de droit transnational, pour utiliser ici les mêmes mots que Luigi Pirandello.[2] Au fond, une définition strictement juridique nous semble surement difficile et probablement pas nécessaire. Par ailleurs, selon les romains toute définition est dangereuse.

Dans une perspective pragmatique, nous entendons le droit transnational plutôt comme un espace où coexistent, interagissent et parfois se heurtent le droit national, le droit international, le droit européen, mais aussi des sources difficilement classifiables dans ces ordres juridiques, comme la lex mercatoria ou la lex sportiva, les contrats conclus entre Etats et sociétés multinationales, l’ équité (‘equity’), les contrats conclus entre des organisations internationales à caractère intergouvernemental et des entités privées, etcetera. Cela dit, le Journal accueillera avec plaisir tant des études empruntées sur des questions pratiques que des réflexions théoriques sur le droit transnational dans toutes ses déclinations et ses relations avec d’autres ordres juridiques.

Alternativement, nous aimons penser à toutes les sources des droits et obligations à caractère transnational comme à des vents qui peuvent prendre une multitude des directions et des formes. Il s’agit à la fois des brises gentilles qui enrichissent et harmonisent le cadre normatif existent, des vents maritimes qui mettent ce cadre à l’épreuve, des rafales qui cause turbulences et tension, ou bien des vents de tempête capable de provoquer des tsunamis juridiques. Comme des marins, les juristes modernes doivent apprendre à connaitre ces vents et à les maitriser, à anticiper leur arrivée, à être préparer à gérer leurs conséquences parfois imprévisibles, et à naviguer non seulement avec le beau temps mais aussi dans la bourrasque.

Métaphores à part, le droit transnational est l’environnement normatif auquel les juristes contemporains sont confrontés désormais chaque jour. Un environnement où les barrières étatiques sont de plus en plus poreuses et les interactions ainsi que les tensions entre les différentes sources normatives de plus en plus fréquentes et importantes.

Quelques exemples devraient clarifier notre vision de droit transnational. A commencer par les soi-disant umbrella clauses. Ces dispositions ont été inclues dans plusieurs traités sur la protection des investissements étrangers afin d’étendre la protection de ces instruments juridiques aux obligations coulant des autres sources, typiquement des contrats conclus entre les Etats et les investisseurs étrangers.[3] D’abord, ce contrat lui-même a une forte connotation transnationale car il échappe une collocation précise et défi la traditionnelle division entre droit national et droit international.[4] Il a été parfois décrit comme un accord quasi-international.[5]

 Des considérations analogues peuvent aussi être formulées à propos des contrats conclus entre des organisations internationales à caractère intergouvernemental et des entités privées, qui revêtent une importance croissante dans le paysage mondial actuel.[6] Ces accords témoignent de l’interaction complexe entre les acteurs étatiques et non étatiques dans la recherche de solutions aux problèmes mondiaux. Les organisations internationales, en collaborant avec des entreprises privées, visent à exploiter les ressources et les compétences du secteur privé pour atteindre des objectifs communs, qu’il s’agisse de promouvoir le développement durable, de fournir des services essentiels ou de relever des défis mondiaux tels que la migration et les droits de l’homme. Bien que cette forte connotation transnationale soit présente dans tous les contrats de ce type, elle est particulièrement évidente dans le cas des contrats entre organisations internationales et entités privées régis en totalité et/ou plus fréquemment en partie par le droit international.

Certaines considérations similaires peuvent également être formulées à propos de la qualification transnationale des soi-disant «accords-cadres internationaux», c’est-à-dire les contrats engageant les entreprises multinationales à respecter les droits des travailleurs dans l’ensemble des opérations des signataires.[7] Ces accords, conclus entre les entreprises multinationales et les syndicats internationaux, visent à établir des normes éthiques et à garantir des conditions de travail justes et équitables dans toutes les régions où une entreprise opère. Ils incarnent la reconnaissance croissante de la responsabilité sociale des entreprises et leur engagement à lutter contre l’exploitation et les pratiques abusives.

 De plus, on peut également en discuter à propos des récents accords mondiaux des Nations Unies sur les réfugiés et les migrants.[8] Les accords mondiaux des Nations Unies sur les réfugiés et les migrants, également connus sous le nom de ‘Global Compacts’, représentent un jalon significatif dans les efforts internationaux visant à aborder les défis complexes liés aux déplacements de populations. Ces accords, adoptés en 2018, offrent un cadre normatif global pour la coopération internationale sur les questions des réfugiés et des migrants, mettant l’accent sur la protection des droits humains, la prévention des discriminations et la promotion d’une migration régulière et sécurisée. Ils sont le fruit d’une collaboration multilatérale et reflètent l’engagement collectif des États membres des Nations Unies à relever ces défis mondiaux.

Encore plus intéressants sont les effets des umbrella clauses  rappelées ci-dessus, qui selon certains auteurs et tribunaux arbitrales transformeraient – ou élèveraient – les dispositions du contrat en dispositions du traité.[9] Mieux vaut, à notre avis, renoncer à tout tentatives de domestiquer ces clauses afin de leurs afficher une étiquette internationale et se contenter d’en étudier la dimension fortement transnationale, c’est-à-dire l’acceptation des Etats parties du traité à respecter, au titre du traité, des obligations fruit des accords qu’ils ont conclu individuellement avec des sujets privés étrangers. Autrement dit, une partie privée contribue indirectement où par renvoi à la réglementation juridique objet du traité, l’instrument par définition utilisé par les Etats pour régler leurs rapports. Avec le corollaire fondamental que l’investisseur peut invoquer le traité – auquel il reste formellement étrange – pour obtenir la résolution d’un diffèrent concernant les dispositions du contrat devant un tribunal arbitral international.

Au temps de l’interdépendance et la globalisation, la dimension transnationale du droit est évidente, dans des formes et des proportions différentes, presque dans tous les domaines des activités humaines.[10] L’objectif principal du Journal est de stimuler un débat ouvert et constructif parmi les juristes et les experts des matières voisines intéressés à la contamination et l’interaction des normes et principes dans une optique transnational largement entendu.

En ce qui concerne les questions plus techniques, le Journal sortira deux fois par an (en octobre et en avril) et serait composé des différentes sections dédiées respectivement aux articles, matériaux juridiques (traitée, législations et décisions des tribunaux internationaux et domestiques) accompagnés dans la mesure du possible d’un commentaire synthétique, ainsi que des comptes rendus de livres. Le Journal sera publié en forme électronique uniquement et sera disponible gratuitement grâce au soutien de l’Institut d’études et de programmes méditerranéens (Istituto di Studi e Programmi per il Mediterraneo, ISPROM).

Le Journal sortira avec une alternance des numéros spéciaux et généraux. Les numéros spéciaux seront dédiés à des sujets particulièrement intéressants du point de vue du droit transnational, tels que le numéro “zéro” sur la responsabilité des sociétés multinationales ou, mieux encore, transnationales. Dans l’optique de créer une communauté ouverte et inclusive, les numéros spéciaux pourraient être confiés à de ‘guest editors’. Le Journal pourrait aussi publier des symposia composés des trois ou quatre articles sur des thèmes spécifiques précédés par une brève introduction.

Également important, les éditeurs souhaitent souligner que le Journal privilégiera des contributions en langue française, même si des contributions dans des autres langues, notamment en anglais et en espagnol, seront aussi acceptées. L’idée derrière cette décision éditoriale est bien évidemment celle de valoriser, dans une optique non seulement transnationale mais aussi multiculturelle, une langue que pendant longtemps à été fondamentale en droit international public et privé, mais qui récemment a perdu terrain.


[1] Pour Philip C. Jessup, Transnational Law (Yale University Press, 1956) 2, “[t]he term transnational law includes all law which regulates actions or events that transcend national frontiers. […] Transnational situations, then, may involve individuals, corporations, states, organisations of states, or other groups.” Voir aussi, entre autres, Emanuel Gaillard, ‘Thirty Years of Lex Mercatoria: Towards the Selective Application of Transnational Rules’, 10 ICSID Review (1995) 208; Roy Goode, ‘Usage and Its Reception in Transnational Commercial Law’, 46 International and Comparative Law Quarterly (1997); Michael Reimann, ‘From the Law of Nations to Transnational Law: Why We Need a New Basic Course for the International Curriculum’, 22 Penn State International Law Review (2004) 397; Kaarlo Tuori, ‘Vers une théorie du droit transnational’, 27 Revue internationale de droit économique (2013) 9; Gilles Lhuilier, Le droit transnational (Dalloz, 2016); Craig Scott, ‘Transnational Law” as Proto-Concept: Three Conceptions’, 10 German Law Journal (2019) 859; Peer Zumbansen (ed.), The Oxford Handbook of Transnational Law (Oxford University Press, 2021); Michael Dowdle, Transnational Law: A Framework for Analysis (Cambridge University Press, 2022).

[2] Voir Luigi Pirandello, Uno, nessuno, centomila (Einaudi, 2014) et, en francais, Un, personne et cent mille (Gallimard, 2008).

[3] Voir e.g. Mary E. Footer, ‘Umbrella Clauses and Widely-Formulated Arbitrated Clauses: Discerning the Limits of ICSID Jurisdiction’, 16 The Law and Practice of International Courts and Tribunals (2017) 87.

[4] Il est important de préciser que, du moins à notre avis, ceci est vrai dans tous les cas, c’est-à-dire aussi dans le cas où le contrat d’investissement est retiré du domaine du droit interne de l’État d’accueil et soumis au droit international.

[5] Alfred Verdross, Quasi-International Agreements and International Economic Transactions (Stevens, 1964).

[6] Parmi les nombreauses contributions dédiées à ce sujet, voir August Reinisch, ‘Contracts between international organizations and private law persons’, available at: link

[7] Sur ce sujet, voir notamment Reynald Bourque, ‘International Framework Agreements and the Future of Collective Bargaining in Multinational Companies’ (2008) 12 Just Labour, available at: link ; Felix Hadwiger, ‘Why Do Multinational Companies Sign Transnational Company Agreements?’, available at: link

[8] Voir ex multis Elspeth Guild, Kathryn Allinson, Nicolette Busutti, ‘The UN Global Compacts and the Common European Asylum System: Coherence or Friction?’, available at: link

[9] In Consortium Groupement L.E.S.I.- DIPENTA v. République algérienne démocratique et populaire, ICSID ARB/03/08, Sentence, 10 janvier 2005, para 25 (ii), par exemple, le Tribunal observe que ces clauses “ont pour effet de transformer les violations des engagements contractuels de l’Etat en violations de cette disposition du traité.” Contra, Joy Mining Machinery Limited v. Arab Republic of Egypt, ICSID Case No. ARB/03/11, Jurisdiction, 6 August 2004, para 81. En doctrine, voir Prosper Weil, Problèmes relatifs aux contrats passés entre un État et un particulier, 128 Recueil des cours (1969) 94.

[10] Sur le sujet, on peut notamment consulter l’ouvrage de Syed Mujtaba Athar, ‘Notes on the relationship between globalisation and transnational law’ (2022) XIX Jura Gentium, sur le site web à l’adresse suivante: link

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